mercredi 28 décembre 2011


 

Phrases dites par Lyonel Trouillot sur l'écriture, le 27 septembre 2011, à la librairie la Machine à lire à Bordeaux

 



J'ai toujours écrit ce que je vivais, mais je n'ai jamais voulu être écrivain.
Je ne signais pas ce que j'écrivais (contexte de dictature),
Je ne voyais pas en l'écriture un métier, je n'allais pas écrire un livre qui ne m'est pas nécessaire. Ce n'est pas pour moi une carrière.
Quand vous parlez, vous écrivez. C'est un acte qui capte le langage des autres, capte les fragments de réel. L'écrivain met tout cela en place pour produire un objet.
Pour l'écrit on n’a pas besoin de talent, comme la peinture. L'écrit est commun à tous les humains. L'écrivain est un artisan. Je ne sais pas quelle est la part d'imaginaire. Je pars toujours du réel. Je prends beaucoup dans ce que j'entends dans le quotidien, le réel. Il me faut le titre, la première phrase et la dernière. Quand j'ai cela dans les mains, le livre ne prend pas plus de trois mois pour être écrit. Mais il faut que je le "voie".

Un texte, c'est quelque chose que l'on décide de donner à lire à un lecteur.

Citation de René Char « le malheur se porte bien tout seul, pas besoin d'imaginaire pour y ajouter quelque chose »


vendredi 25 novembre 2011

Qu'est ce que je regarde quand j'écris ?



C'est au fond de moi.
J'aurai pu dire : mon ordinateur et mes doigts qui tapotent le clavier, ou un bizarre dictionnaire lourd, etc.
Ben non. La seule chose que je regarde vraiment, que je vois, c'est ce qui se passe au fond de moi, les images de lieux qui défilent. Oui, celle-là. Non pas celle-ci, trop ancienne. Ah, mais bon sang, que fait donc tout à coup le souvenir tenace de cette superbe créature, rencontrée il y a dix ans. Une aventure d'un soir. Que fait-elle là ?
Ah, ça y est, je vois un port de Bretagne avec ses chalutiers. Merde, il va falloir que je les décrive. C'est fait comment un chalutier ? Rien à voir avec la belle chaloupée juste avant.
Attends, attends, je vois, oui, je vois là, dans ma boule de cristal, mon cerveau quoi ! Ah zut mon idée est partie, elle y était pourtant. Je regarde au fond de moi ces souvenirs qui se balladent comme une odeur iodée.
Ces souvenirs fugaces et qui m'agacent.

lundi 24 octobre 2011

Les mots de lécrit par... Christian Oster


Phrases dites par Christian Oster (clic, clic) sur l'écriture, le 16 septembre 2011, à la librairie la Machine à lire à Bordeaux



Ce qui m'intéresse c'est le roman, je crois au roman.

J'essaye de faire en sorte que surgissent des mots, des situations, des ambiances.

Cela me fascine, c'est une alchimie très intéressante. J'aime bien travailler les mots.

Ça peut être parfois laborieux, quand on bute sur quelque chose.

Mais je ne suis pas comme Moravia qui disait «Je n'aime pas écrire, j'aime avoir écrit ».

mercredi 19 octobre 2011

Le cortège de mes nuits blanches glisse sur l'éclatante obscurité.







Alors, je me promettais de déchirer la lune, là où mes pas n'avaient laissé aucune trace. Probablement sur la face cachée. Et je courrais après, ces traces. Elles étaient ailleurs me dis-je. Mais sur quel sentier ?

Je cherche en tâtonnant la torche sous mon oreiller. D'habitude elle s'y trouve. Je voudrais éclairer ma nuit blanche d'un halo de lumière électrique. Celui que je connais, pas celui de la lune qui me transperce. J'insiste et je finis par tomber dessus de mes doigts lourds. J'allume. Je clique sur l'interrupteur et je prends feu encore plus. J’éteins. J'ai reçu un éclat de la lune en colère qui m'a jeté ses maux. Je me recouche, le nez vers le plafond. Un vent froissé de brume passe en dessous le souffle des persiennes entrouvertes. C'est l'infini.

Tu m'avais dit, en partant : ― Tu es le sentier de ma vie. ― Ce n'est pas possible, je suis moi-même perdu. Ai-je répondu. ― C'est pour cela que tu me plais. Dis-tu

Je repense à tes mots jetés comme une ancre. Une balise sur un fleuve. Un perchoir où s'assoir. Pourtant, il n'y avait rien dans ce que j'étais qui pouvait faire office de repère. La lune éclairait mes pensées cette nuit là comme un rayon laser lirait les anfractuosités d'un vieux mur. Je n'étais qu'une crevasse. Une fêlure. L'histoire me contraignait de vivre en marge de moi-même. C'était un autre qui me manquait. J'étais lâché. Vidé de mon sens et malgré cet éclat de ma nuit je ne voyais rien de clair. Malgré sa blancheur la lune était obscure. L'infini ment. La lune ment. Sur chacune de ses faces, j'étais perché, en apesanteur. Un équilibre précaire. Le côté sombre et le côté éclatant.

À quel bout de l'histoire m'étais-je égaré ? Quand commencerait un nouveau jour avec toi ? Ton absence subtile s'égraine au fil des minutes qui passent. Les secondes s'étirent comme un lent métronome. Je ne les compte plus. Elles me paraissent nouées les unes aux autres avec un fil d'acier qui jamais ne s'interrompt. Le cortège de mes songes se perd en pointillés autour de ma vie. Je regarde le plafond de ma chambre et j'y vois des étoiles. Une, parmi tant, brille un peu plus.

jeudi 6 octobre 2011

BRESIL : Les vendeurs de plages à Pipa (Nordeste)

 

Dans le bourg touristique de Pipa, les Brésiliens du Sud se pressent aux mois de janvier et février (été de l'hémisphère sud). Quelques Européens tentent aussi l'aventure dans ce paysage verdoyant ou les occasions de faire ses achats sur la plage sont nombreuses, y compris avec une carte bancaire.


La côte nordestine brésilienne, sur une distance de 1200 km, regorge de plages de rêve où l'eau reste chaude toute l'année, ainsi que la température de l'air, sans excès. On y passe alternativement d'un paysage de lagunes ouvertes sur l'océan, à des kilomètres de sable roulés par les vagues, bordés de cocotiers ou de falaises ocre.
Qui va dans le nordeste du Brésil, entre Barra Grande et Natal, se sentira «sur une plage abandonnée ».


 
Mais c'est au village de Pipa, au sud de Natal, la capitale de l'État du Rio Grande do Norte, que mon cœur s'est arrêté, non pas de battre, mais de se balader. La « mata atlântica » — forêt — y est encore assez présente ; se décline en plusieurs zones. En observant la partie la plus exposée aux embruns sur les plages, on y remarque les cocotiers. Puis une végétation basse arbustive est battue par les vents au sommet des falaises. Enfin dans l’intérieur, des masses de forêts primaires sont visibles, quand elles ne sont pas remplacées par les cultures extensives de canne à sucre. C'est dans cette forêt, aux arbres géants, que plusieurs siècles avant, les Français notamment, exploitèrent le bois du « Pau-Brasil », rouge comme la braise, qui donna son nom définitif au pays.

Le petit village de Pipa, 4000 âmes en temps normal, est devenu à partir des années 80 une station balnéaire « authentique », où les buildings n'existent toujours pas. C'est le tourisme brésilien qui le caractérise essentiellement, venu de Rio de Janeiro, São Paulo, mais aussi européen, bien que marginal. Ce sont ici des dizaines de « pousadas » qui accueillent le visiteur, autour d'une seule rue principale pavée et cabossée. On y flâne dès la nuit tombée, quelques minutes après le coucher du soleil, pour savourer les échoppes variées et dénicher le bon restaurant où les prix flirtent avec le maximum tolérable. Mais il y a parfois de bonnes surprises.

Ce sont d'abord les surfeurs qui ont fait connaître le lieu, toujours très présents, puis la beauté des paysages a fait le reste peu à peu.
Blotti entre forêt, plage et falaise, Pipa, la festive, s'anime chaque nuit d'une intense activité qui envahit les bars, bondés, dans la rue principale, et fait déborder d'allégresse les estivants passagers. Car, si tout au long de l'année, la station reste assez calme, c'est entre Noël et le carnaval que les lieux sont les plus animés.
Toutefois depuis quelques années les plages se rétrécissent au pied des falaises. « Praia do Amor » « Praia do Madeiro », « Praia de Cacimbinga » qui parsèment la côte sur quelques kilomètres, ne résistent pas à un courant violent qui découvre peu à peu les rochers. La plage principale « Praia central » se réduit désormais à un mouchoir de poche. C'est une préoccupation pour les vendeurs de plages de Pipa, qui suivent alors la masse des touristes, obligés de parcourir la côte.




Depuis une quinzaine d'années, «Dé», sa famille, ses amis sont organisés en une véritable congrégation de vendeurs de plages ; dans une entente tacite, hiérarchisée et respectée. On retrouve ainsi ceux qui vendent les chapeaux, les vendeurs de nappes, puis tous ceux qui tentent de se débrouiller entre la vente de boissons, casquettes, teeshirts et sucreries.
Selon les mois dans l'année, ou même selon les années, la venue des touristes est aléatoire. La vente sur la plage souffrirait aussi d'une concurrence effrénée, où les derniers arrivés auraient à peine de quoi survivre. Mais cette concurrence est tolérée, car chacun sait qu'il est difficile de gagner sa vie, le Brésilien reste accueillant et l'espace est grand... 
 

« Dé » un gaillard sympathique, aux cuisses entrainées dans le sable, au sourire radieux et l'œil malicieux, aux épaules larges et à la voix forte,qui est mon ami, mon voisin me sert de guide. Avec son épouse Marizelda. Ils m'accueillent dans leur « résidence d'été », une petite maison de deux pièces qu'ils louent pour trois mois. Ils m'indiquent les ficelles de leur métier.
Mais c'est le frère ainé de Marizelda qui est l'organisateur de la vente des nappes sur ces plages. Il a commencé ici il y a plus de 15 ans et connait tout et notamment comment se fournir en articles de qualité. Car de São Paulo, à Fortaleza, il faut savoir à qui s'adresser pour avoir les meilleurs prix. Il est un des initiateurs de la profession à Pipa.

Le soir, sur la terrasse de sa maison, dans une petite rue en pente, bien tranquille, ou la famille se retrouve, le «patrão» fait l'inventaire de ce qui reste à vendre, prépare et répartit les lots pour ses vendeurs du lendemain.

Pour un chapeau il faut compter 10 réais (env. 4 Euros), alors que l'année précédente on pouvait en espérer 15 réais. Pour une nappe les prix sont soumis à de plus fortes variations qui dépendent de la qualité, allant de 15 à 80 réais. Le paiement est possible directement sur la plage en CB.
C'est la journée continue pour ces vendeurs, chaque jour, en plein soleil, où les mois de janvier et février sont les plus chauds et surtout les plus rentables. C'est la saison touristique brésilienne. Ceux du sud, à majorité blanche, viennent s'émerveiller de l'exotisme de la région du nordeste, peuplée en majorité noire ou indienne.
En fonction des journées, les revenus sont variables, mais permettent d'assumer les frais de vie sur place, plus élevés que dans les villages voisins. C'est aussi un moyen, pour ces « vendedores ambulantes » de voyager un peu dans la variété des nationalités et de sortir de leur quotidien. Si les Brésiliens du sud sont majoritaires à 90% dans la foule, cette année 2010, avec la forte valorisation du réal depuis un an, c'est encore plus vrai. Les étrangers sont rares. Les Portugais, les Espagnols et les Italiens semblent les meilleurs acheteurs. Les Français, quasi inexistants, sont classés au même rang que les Argentins... mauvais acheteurs.
Dès six heures du matin, il fait déjà chaud, et les premiers baigneurs, entre les rochers découverts par la marée basse, pataugent à la recherche de coquillages, de petites pierres avec lesquelles les enfants jouent, comme partout dans le monde.

Les premiers vendeurs installent leurs stands, quand ils en ont un, position la plus favorable. Les autres déambulent à pied entre les parasols. Dès dix heures passées, les clients restent à l'ombre en mangeant des crevettes grillées, spécialité de la région, et sirotent une caïpirinha. Mais c'est à l'heure du déjeuner et jusqu'à quatre heures de l'après-midi que la foule est la plus dense. Remis de leur soirée festive de la veille, les touristes se regroupent sur « Praia central », mince bande de sable, après des mois d'érosion. Les vendeurs, chargés de leurs produits, longent des kilomètres entre les différents points où l'on trouve des bars ou restaurants. Les fronts perlent de sueur, les jambes sont douloureuses, les bras sont ankylosés. Mais il n'y a pas de pression auprès du touriste, pas cette insistance lourde qui décourage d'acheter. Ici, le vendeur propose, puis dispose, tranquillement et continue sa marche.


 La saison ne serait pas très bonne cette année, de l'avis de tous. Mais c'est un peu dans la nature de chaque marchand de se plaindre un peu.
Le reste de l'année, « Dé » continue son travail sur la plage, mais demeure au village de Barra do Cunhaú, à huit kilomètres plus au sud, où son épouse est enseignante pendant neuf mois. Les deux villages sont coupés par l'étroit Rio Curimatu, qui contraint le trajet. Au départ de son domicile, Dé doit alors prendre à six heures le premier bus qui le dépose à trois kilomètres, proche de la berge du rio, puis traverser à pied, ou sur une balsa (barge plate) quand la marée est haute. Une fois de l'autre côté de la rive, il accède au village de Sibauma où il trouve un second minibus, qui ne passe que toutes les deux ou quatre heures. Il ne faut pas rater le premier, sinon la journée est fichue. Une fois arrivée à Pipa, c'est la répartition des tâches et cela implique à nouveau, de trouver un dernier moyen de transport pour celui qui est désigné sur la plage la plus éloignée de quelques kilomètres. Il évitera ainsi de marcher, le long des cotes où il n'y a parfois pas d'aménagement à cause de rochers.



Quand le soir vient à partir de quatre heures, la température baisse et il est temps de rentrer. Marrizzelda, en plus de s'occuper de ses deux enfants, et de beaucoup d'autres, prépare le repas dans sa minuscule cuisine, composée de l'essentiel. Pour le matin, café, bananes, igname frit avec un œuf. Et pour le soir, la traditionnelle feijoada, longue à préparer est souvent remplacée par les pâtes, le riz en sauce ou le couscous. Il est dix-huit heures enfin quand les corps peuvent se relâcher un peu, au « som de carro », cette musique de Forró, bien plus populaire ici que le samba, réservé au carnaval. 
 
Le dynamisme de ces gens m'impressionne, leur sourire et leurs façons spontanées sont des atouts majeurs du bonheur de vivre. Dé et Marizzelda qui ne prennent jamais de vacances, sont admirables.


À Pipa, la plage de sable fin est entrain de se rétrécir sérieusement, mais pas l'espoir des vendeurs qui y déambulent.

dimanche 2 octobre 2011

Eloge du gastéropode








La limace est un gastéropode. Celui-ci se déplace lentement, car il colle à la surface sur laquelle il se meut. Gastéropode cela veut dire « estomac » et « pied », c'est du grec. C'est un estomac qui sert de pied quoi ! La lenteur de la limace est renommée, surtout quand il fait chaud et sec ; elle disparaît totalement et personne ne se demande pourquoi il n'y en pas. Mais dès qu'il y a de la pluie, hop ! Elle sort, et vite ! Presque dix mètres à l'heure. Ça cartonne ! Si vous n'avez jamais assisté à un accident de limaces, les dégâts sont considérables. Quand il pleut, on s'interroge, pourquoi ces bestioles existent ? Maintenant je sais.

Cet état de gastéropode était celui dans lequel je me trouvais lorsque je décidai de pousser ma portière de voiture, garée dans la station-service pour faire le plein. Il faisait nuit. Moi, j'étais sacrement rond ! J'ouvris la porte pour descendre. Je m'affalai aussitôt. Je m'écroulai sur le macadam qui sentait le gasoil. À quelques centimètres de mon nez, il y avait une flaque. Mes sinus furent remplis de son parfum entêtant, à faire chier une chauve-souris au repos. Je me trainais sur les coudes et réussi à sortir mes jambes accrochées au bas de la portière. J'approchais de la flaque doucement, estomac à terre, le regard vitreux et commençais à la traverser ainsi pour me rendre vers le kiosque du pompiste. Quand je fus entièrement baigné dans ce qui me semblait être une mare de pétrole, je compris ce que pouvait être la vie d'une limace.

lundi 19 septembre 2011

La révolution....



... au bout des doigts.



jeudi 15 septembre 2011

Les mots de l'écrit par.... Michel Suffran


Phrases dites par Michel Suffran (clic, clic) sur l'écriture, le 15 septembre 2011, 
à la librairie la Machine à lire à Bordeaux


Les mots ont une pesanteur.

Les livres sont les charnières d'un dialogue.

Si il y avait une droite toute tracée, à quoi bon la souligner d'un trait d'encre ?
C'est le coté aventureux de l'écriture, périlleux.

L'écriture est un acte de confiance, c'est une connivence avec le lecteur.


Et son tableau préféré :


"Réunion de famille" Frédéric Bazille 1867


lundi 12 septembre 2011

La balade de St Malo


Àl'abri des remparts de Saint-Malo dans le dédale des ruelles grises, l'homme avait les mains tassées au fond des poches de son pantalon, le teint blafard, des cernes sous les yeux, une barbe de trois jours. Il s'était arrêté devant le restaurant Delaunay où il songeait avec délice manger une moule frite onctueuse, dont le goût d'oignons et de vin blanc lui réjouirait le palais des heures durant. Une seule. Une moule et une frite. C'était tout ce qu'il souhaitait et pouvait s'offrir avec les pièces de vingt centimes qu'il avait trouvées sur le trottoir, probablement délaissées par des touristes. Pour notre homme, au chômage depuis vingt-quatre mois, c'était une aubaine. Il voulait tenter sa chance. Mais le restaurant était fermé. Pas de bol !



Il décida de sortir de la vieille ville pour emprunter à pied le quai Saint-Vincent et admirer le front de mer. Au moins, c'était gratuit, les hauts murs obscurs ne l'oppresseraient plus ! Il avait envie de grand large pour aérer les pensées ternes qui l'envahissaient depuis des semaines.
Sur son chemin il rencontra un couple dont le roquet, tenu en laisse, avait relevé sa patte arrière pour pisser sur une bite d'amarrage. Il s'exclama à l'adresse du cabot :
Hé, espèce d'avorton, te fais pas chier !
Le couple, probablement hollandais, offusqué par le ton aigre du marcheur ne comprit pas très bien la remarque et répliqua :
Hach ! C'est toi l'avatar !
Regard en biais par-dessus son épaule, notre homme errant, qui, pour une fois s'échappait du HLM dans lequel il marinait à longueur de journée, continua son parcours. Les poings serrés à l'étroit dans le tissu dont il pouvait sentir les coutures, il allait faire le tour du port de plaisance quand il croisa le petit train touristique qui amenait les badauds. Sur celui-ci des marmots se bâfraient de glace à la vanille, ou à la fraise, et s'en plastronnaient allègrement les cuisses et les mains. Les parents regardaient ailleurs. Ses pensées devinrent encore plus sombres et lourdes a porter. Il songea à ses quatre enfants, puis évacua rapidement cette image de son esprit. Il avait envie d'être égoïste aujourd'hui, de ne penser qu'à lui, alors que dans sa poche tintaient les quelques pièces qu'il avait trouvées.
Il croisa l'avenue Louis Martin, puis aperçut les panneaux "Palais du Grand large" et "Casino", juxtaposés, dans la même direction, comme une provocation ultime à ses désirs les plus enfouis. L'air était frais, l'odeur de la vase du port à marée basse était chassée par les embruns venus du large qui attiraient ses pulsions. Son esprit s'éclaircit. Il se remémora quelques lignes que sa fille de 12 ans avait écrites, en espérant un jour devenir chanteuse d'ambiance.
"Au 4e étage, sans ascenceur, j’me fais les muscles des gambettes,
Quand je monte les sacs à provisions, j’me d’mande où j’ai ma tête,
J’espère surtout qu’j’ai rien oublié, pas question de redescendre,
Est-ce que j’ai bien fermé la voiture à clef ? Envie d’me peeeeeeeeeeeendre !!"
C'était justement, ce qu'il voulait éviter et continua sa marche l'âme perturbée, mais combattante. En s'approchant des deux panneaux, il médita un instant, puis pensa que l'un ou l'autre amènerait de toute façon à la même destination : la perdition. Sa bourgeoise, qui l'irritait particulièrement en ces moments difficiles, tenait sévèrement les cordons de la bourse. Elle assénait régulièrement "trop de désir nuit", et notait méticuleusement, jour après jour, chaque centime gagné et dépensé. Pas de superflu. Il chassa à nouveau d'un mouvement de refus l'ambiance morne, boueuse et triste que lui imposât la vision de cette femme. Il traversa le quai Duguay-Trouin, l'ancien corsaire statufié, qui, de sa main droite, discrètement, indiquait à l'homme de poursuivre son chemin. Il fut ragaillardi par cette suggestion et en apercevant le casino à quelques pas, décida de s'y rendre.
Il avait envie ce jour-là de se sentir l'âme conquérante face aux éléments qui le bravaient, tel Surcouf, et serra dans son poing les quelques pièces devenues chaudes quand il poussa la porte de la salle des machines à sous.

lundi 5 septembre 2011

En voiture simone !




Dis, tu vas bouger ta caisse de mon horizon sale con ! 
Pardon ??? Quoi ? Interrogea l'interpelé dans un rictus d'incompréhension. 
T'as parfaitement entendu !! Et que je t'y reprenne pas à poser ta chariote au pied de ma table de bistrot préférée. J'peux pas mater mon aise les doux minois qui se dandinent sur la place ! Tu vois là ! De l'autre côté de la ruelle !!
Le type dans ladite caisse, une grosse berline décapotée dans la douceur précoce de cette soirée, tourna la tête à l'opposé et ne put que constater combien la position était stratégique, en effet ! De jolies « fleurs printanières» se balançaient sur la placette en papotant, sous l'ombre des marronniers eux aussi florissants. On avait envie de se changer en papillon et butiner grave, bien que le printemps soit avancé cette année. A cette vision, le conducteur de la bagnole sortit et s’attabla à côté du provocateur. Sans demander, ni cérémonie.
Héééééé ? Dis l'autre, comme un mouton, ne sachant comment réagir.
Eugène Bricot. Fit l'imposteur, péremptoire, en tendant la main, s'asseyant et fixant en direction de la place.
Ha ! Ouais !........... C'est ça, ben t'Eugène pas surtout, fais comme chez ta grand-mère !
Oui
Quoi oui ? T'as ouï, ce que je t'ai mandé de réaliser promptement et sans cérémonie ?
Ben, oui, t'as raison que ma caisse gêne un peu, mais en même temps c'est un sacré argument de vente pour ce que tu reluques, non ? Et pis elle est basse sans la capote.
C'était bien ce qui gênait l'habitué de la terrasse, quand on lui parlait de capote, il pensait à autre chose. Du coup celle de la caisse, il la voyait sous un jour différent maintenant et son exubérant sentiment d'en découdre avec l'autre sexe se renforça, au lieu de vouloir s'escrimer avec le nouveau venu. A ses pensées se mélangea le parfum pénétrant des fleurs des marronniers de la placette.
Il paraît que ça ressemble à l'odeur du sperme !
Oui, je sais.
Ha ?! Et comment tu sais ?
Ben comme toi, y a un paquet de gens qui me l'a déjà dit, sans jamais oser vérifier.
Ha Bricot ! T'es un poète toi !
Depuis qu'Eugène avait dû changer son patronyme suite à une affaire de mœurs dans laquelle il n'avait rien à voir, il se délectait des vannes récurrentes que ce nouveau nom lui valait, toujours les mêmes. Pour le moment il n'était pas las.
Sur ce, une contractuelle en tenue de pervenche s'approcha de la berline et commença à gribouiller sur son calepin le montant de l'amende pour stationnement non réglé en marmonnant :
Encore cette bagnole ! D'un ton navré et excédé.
Lorsqu'elle aperçut le propriétaire qui gesticulait à proximité, accoudé sur l'inox froid de la petite table ronde, en compagnie d'un inconnu. Elle l'interpella.
Dites, ce n’est pas cette voiture qui a déjà été mise en fourrière la semaine dernière dans l'affaire de la rue des trois frères ?
Ce non-événement était remonté jusqu'aux oreilles de la pervenche qui savait à quoi s'en tenir. Quelques jours plus tôt, on avait retrouvé la décapotable au pied de la porte d'un immeuble où venait d'avoir lieu une minutieuse inspection de police et établi un lien direct entre la décapotable et l'auteur des faits. Le nom du propriétaire du véhicule avait été pris pour être à l'origine du larcin et fut immédiatement transcrit dans la presse locale, en manque de sensations. Quelques jours plus tard, l'erreur de l'enquête fut avérée. Eugène, blanchi, avait dû s'adapter rapidement, car il était bien connu dans les environs sous son ancien nom.
Il ne savait pas s’il avait affaire à une pervenche avertie sur son compte ou bien si elle était encore sous le choc de la lecture de l'article initial. Ce qui était certain c'est qu'elle avait été mise au parfum, mais comment ?
Ha mince ! Souffla-t-il à son voisin. Moi qui me croyais débarrassé.
Bien que la pervenche était un peu fanée, il l'aborda.
C'est combien ? Héla-t-il par dessus le trottoir, du ton provocant dont il était coutumier.
Inutile de vous rappeler qu'on se connait. Assura la contractuelle.
Nan, j'ai pas eu ce plaisir. Moi c'est Eugène. Eugène Delacroix.
Mouhahahahaahhaaa. S'ébranla la représentante de l'ordre de voirie. On me l'avait pas encore faite celle-là. Et je coche quelle case ?
Ok, c'est pas mon nom, mais ça fait marrer. Je teste. Je sors n'importe quel nom qui me vient en tête et je vois l'effet que ça donne en espérant que je sois drôle. Mais vous avez besoin de mon nom, là pour votre P.V. ?
Non.
J'viens de vous le dire. Y faut signer ?
Non
Encore !!Mais vous le faites exprès ?
Non
Haaa, ok....
La pervenche fit le tour du véhicule comme si elle allait en prendre toutes les mesures. Elle sauta sur le trottoir, entre les deux compères et la voiture, pour compléter son inspection.
Pourquoi les plaques sont sur les portières et non aux endroits prévus ?
C'est un bolide de course. Un peu comme sur un cheval, on met les numéros là parce qu'ils sont visibles du public.
Et c'est vous l'étalon ? Se moqua-t-elle, alors qu'elle tournait le dos à la tablée.
A cet instant, Eugène sentit la moutarde lui monter au nez. Il se prit d'envie brutalement de retrousser la jupette et de basculer le corps, tête la première, par dessus la vitre baissée de sa voiture pour coller sur le fessier une raclée à la vue de tous. Mais il craint pour la solidité des gongs et les traces sur les chromes rutilants.
Quand vous aurez fini de regarder mes fesses, suggéra l'agent, vous pourrez sortir votre carnet de chèques.
Eugène s'en foutait, il paierait et trouvait que ce n'était pas cher payé pour la vue dégagée que l'emplacement offrait sur les beautés parisiennes printanières.
2.600 euros, annonça l'inquisitrice en se retournant vers lui à à peine un mètre, notification entre les mains et dents saillantes qui comportaient deux canines de taille hors du commun, en effet.
Eugène se redressa brutalement sur son siège et propulsa entre ses lèvres, dans un rictus d'étranglement, tout le café qu'il avait en bouche, en micro particules. Les gouttelettes vinrent se disperser en étoiles obscures sur le fond bleu de l'uniforme de l'agent.
Facture du teinturier comprise ? Osa-t-il.