dimanche 7 janvier 2007

La voix


Il y a quelqu’un qui parle dans la chambre. Antoine entend nettement une voix d’homme, enjouée. Il s’approche de quelques pas dans l’escalier. Un rire sournois et brutal lui parvient alors de derrière la cloison, comme un uppercut.

— Ha ha ….. chienne ! tu l’as bien aimé cette dérouillée, hein ?



Aucune réponse ne vient de la femme prostrée sur le sol. Mais plus jamais le long silence qui suivi cette question ne fut aussi violent pour Antoine. Plus jamais il ne saurait croire à la sincérité apparente et simple d’un homme qui lui paraissait bon. Plus jamais il ne ferait confiance dès le premier souffle à la quelconque explication que donnerait sa mère. Plus jamais. Car il savait tout au fond de lui que quelque chose n’allait pas entre eux deux. Il se doutait depuis des mois. Et… ce sentiment trop coupable qui l’envahit alors lui paraissait trop injuste. Il comprit tout et cela le meurtrit de façon la plus dure qu’il n’avait jamais connu, alors que les vexations étaient pourtant nombreuses depuis cette arrivée au sein du foyer. Son attention fut extrême pour tenter d’écouter ce qui allait advenir et pour sauver sa peau de cette rage qui le submergeait si brutalement. Le silence se fit alors lourd comme une chape de plomb liquéfiée qui l’enveloppait. Un silence plein de cris. S'il avançait en haut de l’escalier, dans le couloir mal éclairé, les lames du parquet allaient craquer. S'il faisait un pas de plus encore ces mots allaient se diriger tout droit contre lui et le transpercerait à jamais. Figé dans sa chair sur ces quelques marches gravies, que l’éclat de voix avait stoppé net dans sa course, Antoine consenti toutefois à reprendre son souffle après un instant qui lui parut une éternité. L’air qu’il respirait avait un goût de souffre, celui qu’il expirait était épais et tenace et lui semblait impossible à repousser devant lui. Il étouffait, sa cage thoracique enfoncée. Il était en équilibre sur un fil placé à des centaines de mètres de haut au-dessus des rochers. Sans filet, avec ses seuls bras d’enfant pour servir de balancier. Antoine n’osait pas regarder en bas, ne pouvait revenir en arrière, ne se sentait pas capable d’avancer d’un centimètre supplémentaire. Tout autour de lui était le vide gigantesque. Au-dessus le ciel était menaçant. Le vent pourrait se lever d’un moment à l’autre et le faire chuter. Cette toile d’araignée qui l’étreignait ne tenait qu’à un fil et il sentait bien que ce brin ténu pouvait lâcher à tout moment.

Le silence se prolongeait entrecoupé des sanglots étouffés par les lèvres tuméfiées de la femme. Et ce rire sarcastique qui continuait de résonner entre les murs, dans ses oreilles. « Non », pensa seulement Antoine. Le seul mot à peu près cohérent qui lui vint et avait un peu de sens à cet instant pour lui, pris dans sa stupeur.

Ces paroles qu’avait prononcé l’homme envahirent peu à peu l’espace des pièces alentours, en écho feutré dans un univers inexistant et lui revenait en pleine face. Un flot de lave mêlée de fange et d’immondices qui détruisait sur son passage tout ce décor familier, tous ses repères. Il avait du mal à le croire. Etait-il, lui, toujours vivant ? Etait-il possédé à son tour par cette voix qui lui glaçait le sang, lui terrassait les membres ? Devait-il se soumettre et accepter ? Aucune réponse ne lui vint. Il vacillait tantôt en avant, tantôt en arrière. Sa mère gisait sur le sol, pensa-t-il. Lui, il se sentait éclaboussé de la douleur prescrite de force comme une potion qui ne le soulagerait pas. Le médecin était un charlatan et la blessure resterait à jamais une plaie béante.