samedi 29 juillet 2006

Baille Ô Corneille

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Ô rage ! ô désespoir ! ô pétole infinie !
N'ai-je donc rien vu pour qu’il en soit ainsi ?
Et ne suis-je parti vers de nombreux spots
Que pour devoir m’avachir ici comme une marmotte ?

Ma board qu'avec respect toute la Gascogne craint,
Ma board, qui tant de fois a tranché ces écrins,
Tant de fois atterrie au plein milieu des bois,
Trahit donc ma querelle, et ne fait rien pour moi ?

Ô cruel souvenir de mes back loop manqués !
Efforts de tant de jours en un jour effacés !
Scélérate météo fatale à mon bonheur !
Anticyclone pourri d'où tombe mon honneur !

Faut-il de votre éclat que ma gorge s’assèche,
Et rester ici bas sans une bonne bière fraîche ?
Eole, sois de mon aile à présent le digne rider ;
Ce haut vent n’attend point un homme sans quiver ;

Et ton tempérament de feu aujourd’hui se résigne
Malgré le choix de tous, tu n’as pas donné signe.
Et voila, en tes risées minables, comment tu nous ments,
Mets mon aile aujourd’hui en un inutile ornement,

Board, jadis tant à craindre, et qui, dans cette offense,
M'a servi de coupe vent, et non pas de défense,
Va, quitte désormais ce rivage sans lendemain,
Passe pour me venger en de meilleures mains.


Texte d'après Pierre Corneille dans Le Cid année 1637, Acte I scène IV.
Crédit Photo Gerard Belbeoch


jeudi 27 juillet 2006

Stabat Pater IV

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Il me regarda encore une fois fixement avec toute la désespérance de son regard humide....d'un air implorant, même, que je ne voulais pas voir ainsi car ce n'était sans jamais penser à ce qu'un jour serait. Ce n'était là que façade, pensais-je, derrière laquelle se cachait sa honte, sa honte infinie de vieillard. Puis il baissa la tête, m'infligeant à nouveau sa sentence de ce qui ne pourrait plus être très longtemps, et, d'un pas chancelant, mais étonnamment décidé, il s'enfonçât dans la pénombre fraîche de son gîte. Comme un fuyard. Une dernière tentative de décider du sort que lui seul pourrait se réserver.


Quand je suis revenu, bien plus tard que je ne l'espérais, en vain je l'ai cherché, le soir et toute la nuit suivante, à sa place habituelle. Je me suis concentré pour tenter de le percevoir du mieux que je pouvais, de l’entrevoir, mais il resta absent, désespérément disparu.




Ce ne fut qu’alors un jour, bien des mois après, où j’allais rendre un service dans un lieu inhabituel, que j’aurais pu croire à un rêve, une apparition fantastique si, dans un moment d’intuition forte, extrêmement rare, je n’étais resté un peu plus sur le pas de cette porte à regarder dans le vague. Apparu alors un homme aux traits rougis sur un visage exsangue, marqués par l’eczéma de toute part, emmitouflé, qu’on déplaçait précipitamment dans son fauteuil roulant d’un bâtiment vers un autre. Son regard à mon intention dura à peine une seconde, mais me toisa de toute cette force inouïe qui donne certitude à la vie, pour peu de temps encore. Je fus sidéré. Lui, ma chair et mon sang étaient là devant moi, à quelques mètres. Cette lueur si soudaine palpitante, je la pris avec une telle violence que je ne pu me résoudre à agir en quoi que ce soit. Je sentais des larmes aux yeux et comme je le regardais, atterré, je compris aussitôt le poids de son regard et de sa fierté à me faire comprendre, uniquement dans ce quart de seconde éternelle, qu’il en serait bientôt fini pour lui. Que je n’avais rien à faire là, rien à ressentir ni à demander plus. Mais par ce regard incandescent d’une fraction infinie je compris surtout que tu serais toujours mon père et pour toujours. Dans l’espace de cette unique seconde.


Dessin de Savinien Petit 1815-1878.
Texte inspiré par S. Zweig dans "Amok" paru en 1927.