mardi 29 août 2006

Brève de trottoir



Il ou elle marchait le long du trottoir. J’ignorais réellement quel pouvait être son sexe et sa nature un peu corpulente me confondait terriblement. Sa mine bonhomme ne me rassura pas. Engoncé(e) dans un certain nombre de manteaux, écharpes et pardessus nombreux, en pellures d’oignons bien entassées, je le ou la trouvais tout à fait étonnant(e). Il y a comme ça des personnes dont on ignore tout et qui vous captive subitement, par une attitude, un geste ou un regard.



Son téléphone portable sonna. Son fouilli de strates laineuses empilées se mis alors à vasciller, tournoyer, chavirer dans tous les sens comme une toupie affolée, quand sa main finit par saisir enfin son combiné fossilisé dans une lointaine sous couche inexplorée.

La conversation débuta et la voie féminine qui s’exprima me donna le sens d’une certaine réalité que j’avais perdue. Elle s’était arrêtée devant moi et avait annoncé son prénom à son interlocuteur «Ouiiii ??? Mathilde à l’appareil». La conversation s’enflamma peu à peu et je m’arrêtais derrière elle.

Elle finit par dire, d’un ton coupant « Mais vas-y puisque tu es déjà en retard !!! ». C’est sur cette dernière phrase que je quittais Mathilde ce jour là. Nous nous revimes à chaque fois dans les mêmes circonstances. Ce personnage m’impressionnait toujours.


Les têtards


Dans le lavoir abandonné au bord du chemin à pic, une eau claire s’épanchait. Les montagnes formaient tout autour un théâtre de verdure vivifiant et magnifique, disproportionné pour ma petite taille d’enfant.




Au loin dans la vallée, les tintements des cloches des brebis me parvenaient déjà. Leurs allures de serpillières blanchâtres et cornues, crapahutant sur le bitume à petites foulées m’intriguaient.

De loin, c’étaient autant d’asticots à pattes frêles, collés l’un à l’autre, rassemblés en flots retentissants. Pendant que la masse s’approchait, je farfouillais de mes mains jusqu’aux avant-bras dans les algues échevelées de ce bassin lumineux qui servait aussi d’abreuvoir au passage des bêtes.

Au fond, la vie des têtards y était trépidante, complètement perturbée par cette petite main qui avançait à leur poursuite. C’était la mienne, celle déjà expérimentée de mes six ou sept ans.

Les petits, les gras, ceux à pattes formées ou non n’avaient plus de secrets pour moi, le nez collé à la surface de l’eau.

Quand j’arrivais à en attraper un, je le posais sur le large rebord en pierre qui me soutenait le haut du corps. Le supplice pouvait commencer pendant que le tintement des cloches s’approchait.

Frétillant du désespoir, mon têtard capturé gesticulait dans sa goutte d’eau devenu flaque autour de lui. Plus pour longtemps.

Un brin de paille enfoncé dans sa bouche, et probablement aussi jusque dans ses molles entrailles lui donnait un air de fumeur de havane ventripotent.

Une pression sur la queue translucide le rendait immobile, et de toutes façons, elle devait bien se séparer un jour ou l’autre de cette tête énorme et globuleuse.

Je pressais alors un peu plus fort entre le pouce et mon index.

SPRICHhhhhhhhhhh. ! ! !

Concentré sur mes expérimentations diverses et variées pendant de longues minutes de pêche aux têtards, je ne faisais plus attention au flot des asticots serpillières qui trottinait alors juste derrière moi, cadencé par leurs cloches résonnantes dans l’écho des montagnes.

Surpris, je m’aperçu soudain que le fleuve moutonneux et bruyant me frôlait le dos, j’admirais alors ces tristes mines, impressionné.


lundi 28 août 2006

Un jour à Marrakesh...

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Je m’installe à la terrasse perchée sur le toit de la grande maison où je suis hébergé à Marrakesh pour écrire ces quelques lignes, au soleil. Mais les hauts murs tendus vers le ciel m’empêchent de voir les environs. Je profite alors des sonorités de tout le quartier Aarst Lhouta qui me parviennent intensément ; appel du Muezin pour la prière de la mi-journée ; mobylettes klaxonantes chevauchées par 1, 2 ou trois personnes ; ballons qui rebondissent dans les ruelles étroites où l’on ne va qu’à pied…

La place Djama el Fna

Je n’ai pas encore visité toutes les pièces imbriquées de la maison carrelée où vivent mes hôtes. Le seul puits de jour placé au centre de l’habitation suffit d’éclairage et les murs tapissés de carreaux de faïence bariolée à géométries variables m’indiquent qu’il fait sûrement bon vivre ici en pleine chaleur de l’été. A l'ombre du rez-de-chaussée en profondeur.

Les cinq jeunes garçons de la famille Marrakchi qui m’accueille y distillent joyeusement leur sens inné de la communication et tentent par leur français approximatif pour les aînés de me faire participer à l’animation générale, ce à quoi je m’adonne volontiers.

J’ai passé à peine deux heures ce matin entre ici, la place Djema El Fna et les souks où évidemment je me suis perdu rêveusement. Ce laps de temps est déjà suffisant pour avoir la tête qui tourne de tout ce que j’ai pu croiser sur mon chemin. Un bain de civilisation tourbillonnante où je suis passé inaperçu, à peine accosté par les vendeurs ambulants d’épices ou de chaussettes entre les milliers d’étals rebondis de produits bigarrés.

Dès les premiers pas de mon excursion, dénicher le « Cyber Café » où je me rends désormais fut le fruit du hasard. Et comme le dit le proverbe « un hasard vaut mieux que mille rendez-vous ». J’en profite.

Sur 10 mètres carrés, les ordinateurs sont agencés les uns contre les autres. Les écrans et les tabourets qui permettent de s’en approcher tiennent du jeu de Lego dans une boite à sardine. Pour optimiser l’espace, une mezzanine que je peux presque toucher du sommet du crâne est bricolée avec la même dizaine de postes connectés sur le monde.

Je m’installe et, à ma gauche, la tenancière minuscule et souriante, engoncée dans son foulard, continue sans broncher ses essais de babouches virtuelles. A ma droite un digne barbu au visage sombre surf sur les calligraphies des écritures arabes, ou Berbères, d’un site où évidement je ne peux rien comprendre. Concentré sur son poste, avec le reste des internautes plutôt jeunes et branchés, chacun s’ouvre à la connaissance en ignorant presque son voisin.

A ma grande surprise la connection est excellente et le haut débit garanti des la première seconde. Mais il m’est difficile de ne pas résister à la tentation captivante, pendant cinq minutes, d’être toutes ouies ouvertes à un autre débit, celui de la rue proche qui paraît par intermittence devant la vitrine de la boutique, que l’on peut percevoir depuis l’intérieur.

Le braiment d’un âne suivi de sa carriole, le cliquetis du pas des chevaux sur le bitume, le couiiii, couiiii, couiiii régulier d’un essieu mal graissé d’une charrette à bras qui s’accentue, puis diminue en fonction de la cadence des piétons et de son éloignement dans la foule donnent un contraste saisissant de deux époques qui cohabitent parfaitement, entre virtualité et prosaïsme débordant d’une cité commerciale qui en a fait sa gloire.

Les odeurs épicées des marchandises cahotantes, aux quelles parfois se mêle l’âcreté des évacuations sanitaires bouchées, rajoutent dans la boutique, par la porte poussée à chaque entrée ou sortie d’internaute, une troisième dimension qui me fait méditer intensément.

Plus tard, de la terrasse d’un café qui domine Djema El Fna, je peux mesurer encore mieux le foisonnement qui m’inspire la démesure du lieu. Mais la préparation pour ce soir de la première projection en plein air pour le festival international du film de Marrakech fait s’activer les marteaux piqueurs qui résonnent désagréablement. Je m’enfonce alors dans les souks proches où je suis aspiré irrémédiablement par les pyramides de tissus, les panoplies de vestes en cuir, les monticules de babouches, les colonnes d’épices, les paniers de légumes…..

Je suis passé devant la pharmacie "Elamal" en bordure du souk. J'ai souri.

Mes yeux écarquillés et presque déjà fatigués de toutes ces subtilités enchevêtrées je me décide à rentrer à la maison « Inch Allah », ma paire de babouches bien négociée sous le bras.

A l’angle d’une ruelle je veux continuer mon chemin distraitement, mais les têtes enturbannées ou voilées, devant moi, s’arrêtent sans motif apparent et se tassent les unes contre les autres.

Rapidement, ni ceux qui viennent ni ceux qui les croisent ne peuvent avancer, tous coincés là entre un marchand de viande sur la droite et un réparateur de radios sur la gauche. Le nombre des passants coincés et voulant passer coûte que coûte augmente peu à peu, sans espoir d’aller ou de retour et nous restons bloqués là au moins pendant cinq minutes, debout. Les têtes se déboîtent, on se hisse sur ses pieds, on s’interroge du regard et s’invective en silence. Les burkas, les tuniques et Djellabas se vrillent, se frottent les unes aux autres, se font pincer par les roues des mobylettes.

Il aura suffit à deux carrioles muletières qui tentaient de se croiser, un tas de pavés en attente d’être posé et quelques mobylettes fumantes pour créer un conglomérat chahutant, sans agressivité, d’une centaine de personnes trépignantes, embaumées par les inhalations des pots d’échappement…

Je réalise qu’il s’agit de mon premier embouteillage piéton de ma vie !!! Car il n’y a là heureusement aucune voiture, bien que j’aperçoive au loin un grand taxi Mercedez qui aimerait bien pousser tout le monde par les fesses.