mardi 29 août 2006

Les têtards


Dans le lavoir abandonné au bord du chemin à pic, une eau claire s’épanchait. Les montagnes formaient tout autour un théâtre de verdure vivifiant et magnifique, disproportionné pour ma petite taille d’enfant.




Au loin dans la vallée, les tintements des cloches des brebis me parvenaient déjà. Leurs allures de serpillières blanchâtres et cornues, crapahutant sur le bitume à petites foulées m’intriguaient.

De loin, c’étaient autant d’asticots à pattes frêles, collés l’un à l’autre, rassemblés en flots retentissants. Pendant que la masse s’approchait, je farfouillais de mes mains jusqu’aux avant-bras dans les algues échevelées de ce bassin lumineux qui servait aussi d’abreuvoir au passage des bêtes.

Au fond, la vie des têtards y était trépidante, complètement perturbée par cette petite main qui avançait à leur poursuite. C’était la mienne, celle déjà expérimentée de mes six ou sept ans.

Les petits, les gras, ceux à pattes formées ou non n’avaient plus de secrets pour moi, le nez collé à la surface de l’eau.

Quand j’arrivais à en attraper un, je le posais sur le large rebord en pierre qui me soutenait le haut du corps. Le supplice pouvait commencer pendant que le tintement des cloches s’approchait.

Frétillant du désespoir, mon têtard capturé gesticulait dans sa goutte d’eau devenu flaque autour de lui. Plus pour longtemps.

Un brin de paille enfoncé dans sa bouche, et probablement aussi jusque dans ses molles entrailles lui donnait un air de fumeur de havane ventripotent.

Une pression sur la queue translucide le rendait immobile, et de toutes façons, elle devait bien se séparer un jour ou l’autre de cette tête énorme et globuleuse.

Je pressais alors un peu plus fort entre le pouce et mon index.

SPRICHhhhhhhhhhh. ! ! !

Concentré sur mes expérimentations diverses et variées pendant de longues minutes de pêche aux têtards, je ne faisais plus attention au flot des asticots serpillières qui trottinait alors juste derrière moi, cadencé par leurs cloches résonnantes dans l’écho des montagnes.

Surpris, je m’aperçu soudain que le fleuve moutonneux et bruyant me frôlait le dos, j’admirais alors ces tristes mines, impressionné.


2 commentaires:

CélineCook a dit…

On dirait le lavoir de Louvie Soubiron...!!

Eugène Bricot a dit…

Gagné !!