lundi 5 mai 2008

20 ans plus tard...



Nos premiers mots furent sans ambiguïté. À peine je descendais de ma voiture que je la trouvais de suite très belle et plus grande que je n'en avais gardé le souvenir, dès qu'elle passa son portail. Je le lui dis. Elle, elle s'intéressa à ma bagnole. Une Volvo. Je m'intéressais à sa carrosserie et elle à celle de mon statut social que représentait ma caisse. 20 ans sans paroles et nous nous comprenions immédiatement. Face à cette banalité, il y eut du merveilleux immédiatement et je me gardais bien de la serrer dans mes bras, par amitié bien sûr. Par peur sans doute.

On a papoté longuement.

Deux jours plus tard, nous sommes allés faire un tour du côté de l'étang de Thau, à côté de Bouzigues. C'est un drôle de nom Bouzigues. Au fond de cet étang, là où l'eau est peu profonde et par vent de sud, il y a pas mal de cochonneries et ça pue de temps à autre l'odeur fantastique des égouts du coin. C'est un drôle d'étang aussi, dont nous avions dégusté les huitres quelques instants auparavant. Je crois qu'elles étaient bonnes, mais ça reste un vague souvenir. Sa démarche devant moi me fascinait. Elle me dit qu'il y avait normalement des Flamands-roses dans le coin. J'en doutais. C'était plat d'un côté avec l'étang, et rocailleux de l'autre avec quelques fleurs parsemées dans la garrigue aux villas clairsemées. De l'autre côté de l'étang, il y avait des constructions touristiques, un alignement assez moche de bâtisses avec les pieds dans l'eau. Si on ne laisse pas tremper les siens trop longtemps dedans, ils seront juste désinfectés, pensais-je.





Et je ne me souvenais pas de cet écrivain qui avait miraculeusement décrit un univers d'usines et de brouillard nauséeux dans lequel des hommes vivaient en parfaite harmonie avec la pollution qui atteignait des records. Les avions larguaient leur kérosène de temps à autre sur les habitations et cela devenait de la pluie enchanteresse. Quand le soleil perçait la brume, c'était une fois dans l'année, et personne ne comprenait à quoi cela servait. La piscine des enfants était une géniale station d'épuration... Un livre magique comme l'était le moment que nous passions ensemble qui rendait aux choses exactement ce qu'elles ne devaient pas être. Nous ne retenions que les rares jolies fleurs qui croisaient notre chemin.

Nous marchions. Puis, assez loin, dans une grande flaque à l'écart de l'étang nous finîmes par apercevoir les extraordinaires Flamands-roses qui en fait étaient blancs ! Voilà qui me confirma que ce bouquin m'aurait été d'une grande utilité si je m'en étais souvenu. Elle me donna sa main pour passer les rocailles difficiles. J'avais envie de la pousser par les fesses dans les montées. 20 ans étaient passés... et toujours la même !

Au moins, son entêtement nous avait amenés jusque-là. Elle me dit - " Tu vois quand ils ouvrent leurs ailes il y a un peu de rose". Ha oui ! C'était vrai. C'était la partie qui n'était probablement pas touchée par les effluves des égouts voisins me dis-je. Sous les ailes c'était rose. Le reste était blanc. Mais je vis pour sûr dans le blanc de ses yeux, à elle, un plaisir de petite fille et jamais de désespoir de me satisfaire. Moi, je jubilais. 20 ans étaient passés ! Et elle m'apparaissait telle que je l'avais connu auparavant. Tout ce qui m'entourait était incroyablement beau et poétique.

Sur le chemin du retour, toutes ces maisons nouvelles construites dans les vignes qui formaient maintenant des lotissements la faisaient râler, les bagnoles qui passaient aussi. Une vraie fille. Aucun doute.

Nous avions bouclé le sentier de notre vie, de nos erreurs, des impasses dont nous étions sortis indemnes ou renforcés et nous étions compris comme 20 ans auparavant. Elle me dit qu'elle avait passé un bon week-end, ce qui n'était pas tout à fait vrai. Mais elle m'avait vu. Nous venions de boucler sur ce chemin 20 ans d'éloignement, qui par la magie des lieux parce qu'ils étaient réels nous rendait admiratifs de ce que nous étions nous même. Les choses autour n'avaient pas d'importance, car elle savait y donner de la magie et de la légèreté, de la tendresse.

Elle me surprit alors que j'allais la quitter là, s'approcha de moi et m'embrassa doucement, comme j'aimais, avec ses lèvres fines. Un baiser rose qui resta sur mes lèvres comme une fleur de pois de senteur qui vacille dans l'onde du vent.
Je n'en revenais pas, mais je sus contenir cette émotion. Pas trop vite, pas si vite.... Elle, elle voulait être rassurée, mais je ne savais pas bien faire cela spontanément. J'aurai dû rester un peu plus, et plus tard je m'en rendais compte, c'était alors moi qui avais besoin d'être rassuré. J'étais parti trop vite. Pour moi c'était déjà pour mieux revenir.

"L'étourdissement"… Je comprenais maintenant pourquoi ce livre me revenait en tête.