lundi 24 octobre 2011

Les mots de lécrit par... Christian Oster


Phrases dites par Christian Oster (clic, clic) sur l'écriture, le 16 septembre 2011, à la librairie la Machine à lire à Bordeaux



Ce qui m'intéresse c'est le roman, je crois au roman.

J'essaye de faire en sorte que surgissent des mots, des situations, des ambiances.

Cela me fascine, c'est une alchimie très intéressante. J'aime bien travailler les mots.

Ça peut être parfois laborieux, quand on bute sur quelque chose.

Mais je ne suis pas comme Moravia qui disait «Je n'aime pas écrire, j'aime avoir écrit ».

mercredi 19 octobre 2011

Le cortège de mes nuits blanches glisse sur l'éclatante obscurité.







Alors, je me promettais de déchirer la lune, là où mes pas n'avaient laissé aucune trace. Probablement sur la face cachée. Et je courrais après, ces traces. Elles étaient ailleurs me dis-je. Mais sur quel sentier ?

Je cherche en tâtonnant la torche sous mon oreiller. D'habitude elle s'y trouve. Je voudrais éclairer ma nuit blanche d'un halo de lumière électrique. Celui que je connais, pas celui de la lune qui me transperce. J'insiste et je finis par tomber dessus de mes doigts lourds. J'allume. Je clique sur l'interrupteur et je prends feu encore plus. J’éteins. J'ai reçu un éclat de la lune en colère qui m'a jeté ses maux. Je me recouche, le nez vers le plafond. Un vent froissé de brume passe en dessous le souffle des persiennes entrouvertes. C'est l'infini.

Tu m'avais dit, en partant : ― Tu es le sentier de ma vie. ― Ce n'est pas possible, je suis moi-même perdu. Ai-je répondu. ― C'est pour cela que tu me plais. Dis-tu

Je repense à tes mots jetés comme une ancre. Une balise sur un fleuve. Un perchoir où s'assoir. Pourtant, il n'y avait rien dans ce que j'étais qui pouvait faire office de repère. La lune éclairait mes pensées cette nuit là comme un rayon laser lirait les anfractuosités d'un vieux mur. Je n'étais qu'une crevasse. Une fêlure. L'histoire me contraignait de vivre en marge de moi-même. C'était un autre qui me manquait. J'étais lâché. Vidé de mon sens et malgré cet éclat de ma nuit je ne voyais rien de clair. Malgré sa blancheur la lune était obscure. L'infini ment. La lune ment. Sur chacune de ses faces, j'étais perché, en apesanteur. Un équilibre précaire. Le côté sombre et le côté éclatant.

À quel bout de l'histoire m'étais-je égaré ? Quand commencerait un nouveau jour avec toi ? Ton absence subtile s'égraine au fil des minutes qui passent. Les secondes s'étirent comme un lent métronome. Je ne les compte plus. Elles me paraissent nouées les unes aux autres avec un fil d'acier qui jamais ne s'interrompt. Le cortège de mes songes se perd en pointillés autour de ma vie. Je regarde le plafond de ma chambre et j'y vois des étoiles. Une, parmi tant, brille un peu plus.

jeudi 6 octobre 2011

BRESIL : Les vendeurs de plages à Pipa (Nordeste)

 

Dans le bourg touristique de Pipa, les Brésiliens du Sud se pressent aux mois de janvier et février (été de l'hémisphère sud). Quelques Européens tentent aussi l'aventure dans ce paysage verdoyant ou les occasions de faire ses achats sur la plage sont nombreuses, y compris avec une carte bancaire.


La côte nordestine brésilienne, sur une distance de 1200 km, regorge de plages de rêve où l'eau reste chaude toute l'année, ainsi que la température de l'air, sans excès. On y passe alternativement d'un paysage de lagunes ouvertes sur l'océan, à des kilomètres de sable roulés par les vagues, bordés de cocotiers ou de falaises ocre.
Qui va dans le nordeste du Brésil, entre Barra Grande et Natal, se sentira «sur une plage abandonnée ».


 
Mais c'est au village de Pipa, au sud de Natal, la capitale de l'État du Rio Grande do Norte, que mon cœur s'est arrêté, non pas de battre, mais de se balader. La « mata atlântica » — forêt — y est encore assez présente ; se décline en plusieurs zones. En observant la partie la plus exposée aux embruns sur les plages, on y remarque les cocotiers. Puis une végétation basse arbustive est battue par les vents au sommet des falaises. Enfin dans l’intérieur, des masses de forêts primaires sont visibles, quand elles ne sont pas remplacées par les cultures extensives de canne à sucre. C'est dans cette forêt, aux arbres géants, que plusieurs siècles avant, les Français notamment, exploitèrent le bois du « Pau-Brasil », rouge comme la braise, qui donna son nom définitif au pays.

Le petit village de Pipa, 4000 âmes en temps normal, est devenu à partir des années 80 une station balnéaire « authentique », où les buildings n'existent toujours pas. C'est le tourisme brésilien qui le caractérise essentiellement, venu de Rio de Janeiro, São Paulo, mais aussi européen, bien que marginal. Ce sont ici des dizaines de « pousadas » qui accueillent le visiteur, autour d'une seule rue principale pavée et cabossée. On y flâne dès la nuit tombée, quelques minutes après le coucher du soleil, pour savourer les échoppes variées et dénicher le bon restaurant où les prix flirtent avec le maximum tolérable. Mais il y a parfois de bonnes surprises.

Ce sont d'abord les surfeurs qui ont fait connaître le lieu, toujours très présents, puis la beauté des paysages a fait le reste peu à peu.
Blotti entre forêt, plage et falaise, Pipa, la festive, s'anime chaque nuit d'une intense activité qui envahit les bars, bondés, dans la rue principale, et fait déborder d'allégresse les estivants passagers. Car, si tout au long de l'année, la station reste assez calme, c'est entre Noël et le carnaval que les lieux sont les plus animés.
Toutefois depuis quelques années les plages se rétrécissent au pied des falaises. « Praia do Amor » « Praia do Madeiro », « Praia de Cacimbinga » qui parsèment la côte sur quelques kilomètres, ne résistent pas à un courant violent qui découvre peu à peu les rochers. La plage principale « Praia central » se réduit désormais à un mouchoir de poche. C'est une préoccupation pour les vendeurs de plages de Pipa, qui suivent alors la masse des touristes, obligés de parcourir la côte.




Depuis une quinzaine d'années, «Dé», sa famille, ses amis sont organisés en une véritable congrégation de vendeurs de plages ; dans une entente tacite, hiérarchisée et respectée. On retrouve ainsi ceux qui vendent les chapeaux, les vendeurs de nappes, puis tous ceux qui tentent de se débrouiller entre la vente de boissons, casquettes, teeshirts et sucreries.
Selon les mois dans l'année, ou même selon les années, la venue des touristes est aléatoire. La vente sur la plage souffrirait aussi d'une concurrence effrénée, où les derniers arrivés auraient à peine de quoi survivre. Mais cette concurrence est tolérée, car chacun sait qu'il est difficile de gagner sa vie, le Brésilien reste accueillant et l'espace est grand... 
 

« Dé » un gaillard sympathique, aux cuisses entrainées dans le sable, au sourire radieux et l'œil malicieux, aux épaules larges et à la voix forte,qui est mon ami, mon voisin me sert de guide. Avec son épouse Marizelda. Ils m'accueillent dans leur « résidence d'été », une petite maison de deux pièces qu'ils louent pour trois mois. Ils m'indiquent les ficelles de leur métier.
Mais c'est le frère ainé de Marizelda qui est l'organisateur de la vente des nappes sur ces plages. Il a commencé ici il y a plus de 15 ans et connait tout et notamment comment se fournir en articles de qualité. Car de São Paulo, à Fortaleza, il faut savoir à qui s'adresser pour avoir les meilleurs prix. Il est un des initiateurs de la profession à Pipa.

Le soir, sur la terrasse de sa maison, dans une petite rue en pente, bien tranquille, ou la famille se retrouve, le «patrão» fait l'inventaire de ce qui reste à vendre, prépare et répartit les lots pour ses vendeurs du lendemain.

Pour un chapeau il faut compter 10 réais (env. 4 Euros), alors que l'année précédente on pouvait en espérer 15 réais. Pour une nappe les prix sont soumis à de plus fortes variations qui dépendent de la qualité, allant de 15 à 80 réais. Le paiement est possible directement sur la plage en CB.
C'est la journée continue pour ces vendeurs, chaque jour, en plein soleil, où les mois de janvier et février sont les plus chauds et surtout les plus rentables. C'est la saison touristique brésilienne. Ceux du sud, à majorité blanche, viennent s'émerveiller de l'exotisme de la région du nordeste, peuplée en majorité noire ou indienne.
En fonction des journées, les revenus sont variables, mais permettent d'assumer les frais de vie sur place, plus élevés que dans les villages voisins. C'est aussi un moyen, pour ces « vendedores ambulantes » de voyager un peu dans la variété des nationalités et de sortir de leur quotidien. Si les Brésiliens du sud sont majoritaires à 90% dans la foule, cette année 2010, avec la forte valorisation du réal depuis un an, c'est encore plus vrai. Les étrangers sont rares. Les Portugais, les Espagnols et les Italiens semblent les meilleurs acheteurs. Les Français, quasi inexistants, sont classés au même rang que les Argentins... mauvais acheteurs.
Dès six heures du matin, il fait déjà chaud, et les premiers baigneurs, entre les rochers découverts par la marée basse, pataugent à la recherche de coquillages, de petites pierres avec lesquelles les enfants jouent, comme partout dans le monde.

Les premiers vendeurs installent leurs stands, quand ils en ont un, position la plus favorable. Les autres déambulent à pied entre les parasols. Dès dix heures passées, les clients restent à l'ombre en mangeant des crevettes grillées, spécialité de la région, et sirotent une caïpirinha. Mais c'est à l'heure du déjeuner et jusqu'à quatre heures de l'après-midi que la foule est la plus dense. Remis de leur soirée festive de la veille, les touristes se regroupent sur « Praia central », mince bande de sable, après des mois d'érosion. Les vendeurs, chargés de leurs produits, longent des kilomètres entre les différents points où l'on trouve des bars ou restaurants. Les fronts perlent de sueur, les jambes sont douloureuses, les bras sont ankylosés. Mais il n'y a pas de pression auprès du touriste, pas cette insistance lourde qui décourage d'acheter. Ici, le vendeur propose, puis dispose, tranquillement et continue sa marche.


 La saison ne serait pas très bonne cette année, de l'avis de tous. Mais c'est un peu dans la nature de chaque marchand de se plaindre un peu.
Le reste de l'année, « Dé » continue son travail sur la plage, mais demeure au village de Barra do Cunhaú, à huit kilomètres plus au sud, où son épouse est enseignante pendant neuf mois. Les deux villages sont coupés par l'étroit Rio Curimatu, qui contraint le trajet. Au départ de son domicile, Dé doit alors prendre à six heures le premier bus qui le dépose à trois kilomètres, proche de la berge du rio, puis traverser à pied, ou sur une balsa (barge plate) quand la marée est haute. Une fois de l'autre côté de la rive, il accède au village de Sibauma où il trouve un second minibus, qui ne passe que toutes les deux ou quatre heures. Il ne faut pas rater le premier, sinon la journée est fichue. Une fois arrivée à Pipa, c'est la répartition des tâches et cela implique à nouveau, de trouver un dernier moyen de transport pour celui qui est désigné sur la plage la plus éloignée de quelques kilomètres. Il évitera ainsi de marcher, le long des cotes où il n'y a parfois pas d'aménagement à cause de rochers.



Quand le soir vient à partir de quatre heures, la température baisse et il est temps de rentrer. Marrizzelda, en plus de s'occuper de ses deux enfants, et de beaucoup d'autres, prépare le repas dans sa minuscule cuisine, composée de l'essentiel. Pour le matin, café, bananes, igname frit avec un œuf. Et pour le soir, la traditionnelle feijoada, longue à préparer est souvent remplacée par les pâtes, le riz en sauce ou le couscous. Il est dix-huit heures enfin quand les corps peuvent se relâcher un peu, au « som de carro », cette musique de Forró, bien plus populaire ici que le samba, réservé au carnaval. 
 
Le dynamisme de ces gens m'impressionne, leur sourire et leurs façons spontanées sont des atouts majeurs du bonheur de vivre. Dé et Marizzelda qui ne prennent jamais de vacances, sont admirables.


À Pipa, la plage de sable fin est entrain de se rétrécir sérieusement, mais pas l'espoir des vendeurs qui y déambulent.

dimanche 2 octobre 2011

Eloge du gastéropode








La limace est un gastéropode. Celui-ci se déplace lentement, car il colle à la surface sur laquelle il se meut. Gastéropode cela veut dire « estomac » et « pied », c'est du grec. C'est un estomac qui sert de pied quoi ! La lenteur de la limace est renommée, surtout quand il fait chaud et sec ; elle disparaît totalement et personne ne se demande pourquoi il n'y en pas. Mais dès qu'il y a de la pluie, hop ! Elle sort, et vite ! Presque dix mètres à l'heure. Ça cartonne ! Si vous n'avez jamais assisté à un accident de limaces, les dégâts sont considérables. Quand il pleut, on s'interroge, pourquoi ces bestioles existent ? Maintenant je sais.

Cet état de gastéropode était celui dans lequel je me trouvais lorsque je décidai de pousser ma portière de voiture, garée dans la station-service pour faire le plein. Il faisait nuit. Moi, j'étais sacrement rond ! J'ouvris la porte pour descendre. Je m'affalai aussitôt. Je m'écroulai sur le macadam qui sentait le gasoil. À quelques centimètres de mon nez, il y avait une flaque. Mes sinus furent remplis de son parfum entêtant, à faire chier une chauve-souris au repos. Je me trainais sur les coudes et réussi à sortir mes jambes accrochées au bas de la portière. J'approchais de la flaque doucement, estomac à terre, le regard vitreux et commençais à la traverser ainsi pour me rendre vers le kiosque du pompiste. Quand je fus entièrement baigné dans ce qui me semblait être une mare de pétrole, je compris ce que pouvait être la vie d'une limace.