jeudi 6 octobre 2011

BRESIL : Les vendeurs de plages à Pipa (Nordeste)

 

Dans le bourg touristique de Pipa, les Brésiliens du Sud se pressent aux mois de janvier et février (été de l'hémisphère sud). Quelques Européens tentent aussi l'aventure dans ce paysage verdoyant ou les occasions de faire ses achats sur la plage sont nombreuses, y compris avec une carte bancaire.


La côte nordestine brésilienne, sur une distance de 1200 km, regorge de plages de rêve où l'eau reste chaude toute l'année, ainsi que la température de l'air, sans excès. On y passe alternativement d'un paysage de lagunes ouvertes sur l'océan, à des kilomètres de sable roulés par les vagues, bordés de cocotiers ou de falaises ocre.
Qui va dans le nordeste du Brésil, entre Barra Grande et Natal, se sentira «sur une plage abandonnée ».


 
Mais c'est au village de Pipa, au sud de Natal, la capitale de l'État du Rio Grande do Norte, que mon cœur s'est arrêté, non pas de battre, mais de se balader. La « mata atlântica » — forêt — y est encore assez présente ; se décline en plusieurs zones. En observant la partie la plus exposée aux embruns sur les plages, on y remarque les cocotiers. Puis une végétation basse arbustive est battue par les vents au sommet des falaises. Enfin dans l’intérieur, des masses de forêts primaires sont visibles, quand elles ne sont pas remplacées par les cultures extensives de canne à sucre. C'est dans cette forêt, aux arbres géants, que plusieurs siècles avant, les Français notamment, exploitèrent le bois du « Pau-Brasil », rouge comme la braise, qui donna son nom définitif au pays.

Le petit village de Pipa, 4000 âmes en temps normal, est devenu à partir des années 80 une station balnéaire « authentique », où les buildings n'existent toujours pas. C'est le tourisme brésilien qui le caractérise essentiellement, venu de Rio de Janeiro, São Paulo, mais aussi européen, bien que marginal. Ce sont ici des dizaines de « pousadas » qui accueillent le visiteur, autour d'une seule rue principale pavée et cabossée. On y flâne dès la nuit tombée, quelques minutes après le coucher du soleil, pour savourer les échoppes variées et dénicher le bon restaurant où les prix flirtent avec le maximum tolérable. Mais il y a parfois de bonnes surprises.

Ce sont d'abord les surfeurs qui ont fait connaître le lieu, toujours très présents, puis la beauté des paysages a fait le reste peu à peu.
Blotti entre forêt, plage et falaise, Pipa, la festive, s'anime chaque nuit d'une intense activité qui envahit les bars, bondés, dans la rue principale, et fait déborder d'allégresse les estivants passagers. Car, si tout au long de l'année, la station reste assez calme, c'est entre Noël et le carnaval que les lieux sont les plus animés.
Toutefois depuis quelques années les plages se rétrécissent au pied des falaises. « Praia do Amor » « Praia do Madeiro », « Praia de Cacimbinga » qui parsèment la côte sur quelques kilomètres, ne résistent pas à un courant violent qui découvre peu à peu les rochers. La plage principale « Praia central » se réduit désormais à un mouchoir de poche. C'est une préoccupation pour les vendeurs de plages de Pipa, qui suivent alors la masse des touristes, obligés de parcourir la côte.




Depuis une quinzaine d'années, «Dé», sa famille, ses amis sont organisés en une véritable congrégation de vendeurs de plages ; dans une entente tacite, hiérarchisée et respectée. On retrouve ainsi ceux qui vendent les chapeaux, les vendeurs de nappes, puis tous ceux qui tentent de se débrouiller entre la vente de boissons, casquettes, teeshirts et sucreries.
Selon les mois dans l'année, ou même selon les années, la venue des touristes est aléatoire. La vente sur la plage souffrirait aussi d'une concurrence effrénée, où les derniers arrivés auraient à peine de quoi survivre. Mais cette concurrence est tolérée, car chacun sait qu'il est difficile de gagner sa vie, le Brésilien reste accueillant et l'espace est grand... 
 

« Dé » un gaillard sympathique, aux cuisses entrainées dans le sable, au sourire radieux et l'œil malicieux, aux épaules larges et à la voix forte,qui est mon ami, mon voisin me sert de guide. Avec son épouse Marizelda. Ils m'accueillent dans leur « résidence d'été », une petite maison de deux pièces qu'ils louent pour trois mois. Ils m'indiquent les ficelles de leur métier.
Mais c'est le frère ainé de Marizelda qui est l'organisateur de la vente des nappes sur ces plages. Il a commencé ici il y a plus de 15 ans et connait tout et notamment comment se fournir en articles de qualité. Car de São Paulo, à Fortaleza, il faut savoir à qui s'adresser pour avoir les meilleurs prix. Il est un des initiateurs de la profession à Pipa.

Le soir, sur la terrasse de sa maison, dans une petite rue en pente, bien tranquille, ou la famille se retrouve, le «patrão» fait l'inventaire de ce qui reste à vendre, prépare et répartit les lots pour ses vendeurs du lendemain.

Pour un chapeau il faut compter 10 réais (env. 4 Euros), alors que l'année précédente on pouvait en espérer 15 réais. Pour une nappe les prix sont soumis à de plus fortes variations qui dépendent de la qualité, allant de 15 à 80 réais. Le paiement est possible directement sur la plage en CB.
C'est la journée continue pour ces vendeurs, chaque jour, en plein soleil, où les mois de janvier et février sont les plus chauds et surtout les plus rentables. C'est la saison touristique brésilienne. Ceux du sud, à majorité blanche, viennent s'émerveiller de l'exotisme de la région du nordeste, peuplée en majorité noire ou indienne.
En fonction des journées, les revenus sont variables, mais permettent d'assumer les frais de vie sur place, plus élevés que dans les villages voisins. C'est aussi un moyen, pour ces « vendedores ambulantes » de voyager un peu dans la variété des nationalités et de sortir de leur quotidien. Si les Brésiliens du sud sont majoritaires à 90% dans la foule, cette année 2010, avec la forte valorisation du réal depuis un an, c'est encore plus vrai. Les étrangers sont rares. Les Portugais, les Espagnols et les Italiens semblent les meilleurs acheteurs. Les Français, quasi inexistants, sont classés au même rang que les Argentins... mauvais acheteurs.
Dès six heures du matin, il fait déjà chaud, et les premiers baigneurs, entre les rochers découverts par la marée basse, pataugent à la recherche de coquillages, de petites pierres avec lesquelles les enfants jouent, comme partout dans le monde.

Les premiers vendeurs installent leurs stands, quand ils en ont un, position la plus favorable. Les autres déambulent à pied entre les parasols. Dès dix heures passées, les clients restent à l'ombre en mangeant des crevettes grillées, spécialité de la région, et sirotent une caïpirinha. Mais c'est à l'heure du déjeuner et jusqu'à quatre heures de l'après-midi que la foule est la plus dense. Remis de leur soirée festive de la veille, les touristes se regroupent sur « Praia central », mince bande de sable, après des mois d'érosion. Les vendeurs, chargés de leurs produits, longent des kilomètres entre les différents points où l'on trouve des bars ou restaurants. Les fronts perlent de sueur, les jambes sont douloureuses, les bras sont ankylosés. Mais il n'y a pas de pression auprès du touriste, pas cette insistance lourde qui décourage d'acheter. Ici, le vendeur propose, puis dispose, tranquillement et continue sa marche.


 La saison ne serait pas très bonne cette année, de l'avis de tous. Mais c'est un peu dans la nature de chaque marchand de se plaindre un peu.
Le reste de l'année, « Dé » continue son travail sur la plage, mais demeure au village de Barra do Cunhaú, à huit kilomètres plus au sud, où son épouse est enseignante pendant neuf mois. Les deux villages sont coupés par l'étroit Rio Curimatu, qui contraint le trajet. Au départ de son domicile, Dé doit alors prendre à six heures le premier bus qui le dépose à trois kilomètres, proche de la berge du rio, puis traverser à pied, ou sur une balsa (barge plate) quand la marée est haute. Une fois de l'autre côté de la rive, il accède au village de Sibauma où il trouve un second minibus, qui ne passe que toutes les deux ou quatre heures. Il ne faut pas rater le premier, sinon la journée est fichue. Une fois arrivée à Pipa, c'est la répartition des tâches et cela implique à nouveau, de trouver un dernier moyen de transport pour celui qui est désigné sur la plage la plus éloignée de quelques kilomètres. Il évitera ainsi de marcher, le long des cotes où il n'y a parfois pas d'aménagement à cause de rochers.



Quand le soir vient à partir de quatre heures, la température baisse et il est temps de rentrer. Marrizzelda, en plus de s'occuper de ses deux enfants, et de beaucoup d'autres, prépare le repas dans sa minuscule cuisine, composée de l'essentiel. Pour le matin, café, bananes, igname frit avec un œuf. Et pour le soir, la traditionnelle feijoada, longue à préparer est souvent remplacée par les pâtes, le riz en sauce ou le couscous. Il est dix-huit heures enfin quand les corps peuvent se relâcher un peu, au « som de carro », cette musique de Forró, bien plus populaire ici que le samba, réservé au carnaval. 
 
Le dynamisme de ces gens m'impressionne, leur sourire et leurs façons spontanées sont des atouts majeurs du bonheur de vivre. Dé et Marizzelda qui ne prennent jamais de vacances, sont admirables.


À Pipa, la plage de sable fin est entrain de se rétrécir sérieusement, mais pas l'espoir des vendeurs qui y déambulent.

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