jeudi 7 décembre 2006

Stabat Pater VI


L'odeur de la sciure me ramena à un souvenir de ma merveilleuse enfance.

Nous étions tous les deux ce jour là dans la maison de campagne dans laquelle tu passais ton temps à charpenter. Là je devenais ton esclave bénévole le temps d’une après midi estivale. J’avais à peu près 13 ans. J’apprenais avec toi à me servir de mes dix doigts dans le prolongement de ma cervelle. Cette bâtisse craquelée était ton jouet, ton terrain d’expression physique autant qu’oral. Ainsi tu me saoulais avec tes histoires béates et sans fin, tandis que nous bricolions.


Concerto pour scie


Chaque fois que j’utilisais une scie pour trancher une lame de parquet, et que je devenais distrait, tu n’étais pas très loin pour me reprendre : « — Tsst, tsst, le marchand de scie m’a vendu toutes les dents de la scie !! » Alors les mouvements de mon frêle bras devenaient plus amples d’une extrémité à l’autre de la lame… Je me rendais compte, après ta subtile remarque, que ça allait surtout bien plus vite ainsi. La sciure tombait sur mes godasses. On la stockait ensuite pour éponger je ne sais quoi… au cas où…

Couverts de cette poussière de châtaigner, nous nous concentrions sur les mesures à prendre et la manière de mieux agencer chaque lame par rapport à l’autre ; sur l’inclinaison du clou ; sur l’angle d’attaque du marteau ; sur la cale indispensable pour mieux ajuster…

Dans un coin du grenier que nous avions déjà terminé, j’aperçu alors de larges planches beaucoup plus grandes, d’une essence différente, posées à même le sol. Je ne les avais pas observées la fois précédente.

— Ca ! me dis-tu alors que tu m’observais, c’est pour quand je serai mort. Je ne fus pas vraiment étonné de ton sens pratique habituel et de ton impudeur d’homme vieillissant. « Au cas où… »

A travers la lucarne, un rai de lumière éclaboussa les particules de bois en suspension dans lesquels je flottais comme un ange. Mes narines s’imprégnaient de ces milliers de lucioles. Un brouillard tiède, doué de nature enchanteresse se collait à mes cheveux ; me calfeutrait les oreilles ; s’amoncelait dans la commissure de mes paupières, de mes lèvres. Le divin était proche et je transperçais de mon corps le rai de lumière oblique pour voir si ma boule de cristal intérieure fonctionnait correctement. C’était beau.

Tu rajoutais : — Je me fiche pas mal, ce jour là, d’être enfermé dans un cercueil vernis calfeutré de taffetas blanc. Hop !! Entre ces quatre planches et dans un trou au fond du jardin…. Ce sera au poil. Pas de voisins !! Je trouvais intérieurement cette idée géniale.

— C’est du cèdre, précisas-tu, beaucoup plus dur pour les vers…

Lorsque nous partions, ce qui finissait de me réjouir c'est que déjà, si jeune, tu m’avais appris à conduire ton vieux break Ami 6 qui tanguait dans les virages. Il me servait surtout à visiter les prairies herbeuses du coin quand tu n’étais pas avec moi. Cela t’exaspérait et me plaisait énormément.

Tant de dizaines d’années nous séparaient mais tu ne m’avais pas caché non plus que si tu m’avais aussi appris à conduire si tôt quand nous partions tous les deux, c’était toujours…au cas où… Et je me sentais grand, avec toute cette poussière de bois sec qui me bouchait le nez et collait mes cheveux tout crades !!


1 commentaire:

CélineCook a dit…

J'en apprends sur mon grand-père, et sur mon oncle!!