lundi 5 septembre 2011

En voiture simone !




Dis, tu vas bouger ta caisse de mon horizon sale con ! 
Pardon ??? Quoi ? Interrogea l'interpelé dans un rictus d'incompréhension. 
T'as parfaitement entendu !! Et que je t'y reprenne pas à poser ta chariote au pied de ma table de bistrot préférée. J'peux pas mater mon aise les doux minois qui se dandinent sur la place ! Tu vois là ! De l'autre côté de la ruelle !!
Le type dans ladite caisse, une grosse berline décapotée dans la douceur précoce de cette soirée, tourna la tête à l'opposé et ne put que constater combien la position était stratégique, en effet ! De jolies « fleurs printanières» se balançaient sur la placette en papotant, sous l'ombre des marronniers eux aussi florissants. On avait envie de se changer en papillon et butiner grave, bien que le printemps soit avancé cette année. A cette vision, le conducteur de la bagnole sortit et s’attabla à côté du provocateur. Sans demander, ni cérémonie.
Héééééé ? Dis l'autre, comme un mouton, ne sachant comment réagir.
Eugène Bricot. Fit l'imposteur, péremptoire, en tendant la main, s'asseyant et fixant en direction de la place.
Ha ! Ouais !........... C'est ça, ben t'Eugène pas surtout, fais comme chez ta grand-mère !
Oui
Quoi oui ? T'as ouï, ce que je t'ai mandé de réaliser promptement et sans cérémonie ?
Ben, oui, t'as raison que ma caisse gêne un peu, mais en même temps c'est un sacré argument de vente pour ce que tu reluques, non ? Et pis elle est basse sans la capote.
C'était bien ce qui gênait l'habitué de la terrasse, quand on lui parlait de capote, il pensait à autre chose. Du coup celle de la caisse, il la voyait sous un jour différent maintenant et son exubérant sentiment d'en découdre avec l'autre sexe se renforça, au lieu de vouloir s'escrimer avec le nouveau venu. A ses pensées se mélangea le parfum pénétrant des fleurs des marronniers de la placette.
Il paraît que ça ressemble à l'odeur du sperme !
Oui, je sais.
Ha ?! Et comment tu sais ?
Ben comme toi, y a un paquet de gens qui me l'a déjà dit, sans jamais oser vérifier.
Ha Bricot ! T'es un poète toi !
Depuis qu'Eugène avait dû changer son patronyme suite à une affaire de mœurs dans laquelle il n'avait rien à voir, il se délectait des vannes récurrentes que ce nouveau nom lui valait, toujours les mêmes. Pour le moment il n'était pas las.
Sur ce, une contractuelle en tenue de pervenche s'approcha de la berline et commença à gribouiller sur son calepin le montant de l'amende pour stationnement non réglé en marmonnant :
Encore cette bagnole ! D'un ton navré et excédé.
Lorsqu'elle aperçut le propriétaire qui gesticulait à proximité, accoudé sur l'inox froid de la petite table ronde, en compagnie d'un inconnu. Elle l'interpella.
Dites, ce n’est pas cette voiture qui a déjà été mise en fourrière la semaine dernière dans l'affaire de la rue des trois frères ?
Ce non-événement était remonté jusqu'aux oreilles de la pervenche qui savait à quoi s'en tenir. Quelques jours plus tôt, on avait retrouvé la décapotable au pied de la porte d'un immeuble où venait d'avoir lieu une minutieuse inspection de police et établi un lien direct entre la décapotable et l'auteur des faits. Le nom du propriétaire du véhicule avait été pris pour être à l'origine du larcin et fut immédiatement transcrit dans la presse locale, en manque de sensations. Quelques jours plus tard, l'erreur de l'enquête fut avérée. Eugène, blanchi, avait dû s'adapter rapidement, car il était bien connu dans les environs sous son ancien nom.
Il ne savait pas s’il avait affaire à une pervenche avertie sur son compte ou bien si elle était encore sous le choc de la lecture de l'article initial. Ce qui était certain c'est qu'elle avait été mise au parfum, mais comment ?
Ha mince ! Souffla-t-il à son voisin. Moi qui me croyais débarrassé.
Bien que la pervenche était un peu fanée, il l'aborda.
C'est combien ? Héla-t-il par dessus le trottoir, du ton provocant dont il était coutumier.
Inutile de vous rappeler qu'on se connait. Assura la contractuelle.
Nan, j'ai pas eu ce plaisir. Moi c'est Eugène. Eugène Delacroix.
Mouhahahahaahhaaa. S'ébranla la représentante de l'ordre de voirie. On me l'avait pas encore faite celle-là. Et je coche quelle case ?
Ok, c'est pas mon nom, mais ça fait marrer. Je teste. Je sors n'importe quel nom qui me vient en tête et je vois l'effet que ça donne en espérant que je sois drôle. Mais vous avez besoin de mon nom, là pour votre P.V. ?
Non.
J'viens de vous le dire. Y faut signer ?
Non
Encore !!Mais vous le faites exprès ?
Non
Haaa, ok....
La pervenche fit le tour du véhicule comme si elle allait en prendre toutes les mesures. Elle sauta sur le trottoir, entre les deux compères et la voiture, pour compléter son inspection.
Pourquoi les plaques sont sur les portières et non aux endroits prévus ?
C'est un bolide de course. Un peu comme sur un cheval, on met les numéros là parce qu'ils sont visibles du public.
Et c'est vous l'étalon ? Se moqua-t-elle, alors qu'elle tournait le dos à la tablée.
A cet instant, Eugène sentit la moutarde lui monter au nez. Il se prit d'envie brutalement de retrousser la jupette et de basculer le corps, tête la première, par dessus la vitre baissée de sa voiture pour coller sur le fessier une raclée à la vue de tous. Mais il craint pour la solidité des gongs et les traces sur les chromes rutilants.
Quand vous aurez fini de regarder mes fesses, suggéra l'agent, vous pourrez sortir votre carnet de chèques.
Eugène s'en foutait, il paierait et trouvait que ce n'était pas cher payé pour la vue dégagée que l'emplacement offrait sur les beautés parisiennes printanières.
2.600 euros, annonça l'inquisitrice en se retournant vers lui à à peine un mètre, notification entre les mains et dents saillantes qui comportaient deux canines de taille hors du commun, en effet.
Eugène se redressa brutalement sur son siège et propulsa entre ses lèvres, dans un rictus d'étranglement, tout le café qu'il avait en bouche, en micro particules. Les gouttelettes vinrent se disperser en étoiles obscures sur le fond bleu de l'uniforme de l'agent.
Facture du teinturier comprise ? Osa-t-il.

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