lundi 12 septembre 2011

La balade de St Malo


Àl'abri des remparts de Saint-Malo dans le dédale des ruelles grises, l'homme avait les mains tassées au fond des poches de son pantalon, le teint blafard, des cernes sous les yeux, une barbe de trois jours. Il s'était arrêté devant le restaurant Delaunay où il songeait avec délice manger une moule frite onctueuse, dont le goût d'oignons et de vin blanc lui réjouirait le palais des heures durant. Une seule. Une moule et une frite. C'était tout ce qu'il souhaitait et pouvait s'offrir avec les pièces de vingt centimes qu'il avait trouvées sur le trottoir, probablement délaissées par des touristes. Pour notre homme, au chômage depuis vingt-quatre mois, c'était une aubaine. Il voulait tenter sa chance. Mais le restaurant était fermé. Pas de bol !



Il décida de sortir de la vieille ville pour emprunter à pied le quai Saint-Vincent et admirer le front de mer. Au moins, c'était gratuit, les hauts murs obscurs ne l'oppresseraient plus ! Il avait envie de grand large pour aérer les pensées ternes qui l'envahissaient depuis des semaines.
Sur son chemin il rencontra un couple dont le roquet, tenu en laisse, avait relevé sa patte arrière pour pisser sur une bite d'amarrage. Il s'exclama à l'adresse du cabot :
Hé, espèce d'avorton, te fais pas chier !
Le couple, probablement hollandais, offusqué par le ton aigre du marcheur ne comprit pas très bien la remarque et répliqua :
Hach ! C'est toi l'avatar !
Regard en biais par-dessus son épaule, notre homme errant, qui, pour une fois s'échappait du HLM dans lequel il marinait à longueur de journée, continua son parcours. Les poings serrés à l'étroit dans le tissu dont il pouvait sentir les coutures, il allait faire le tour du port de plaisance quand il croisa le petit train touristique qui amenait les badauds. Sur celui-ci des marmots se bâfraient de glace à la vanille, ou à la fraise, et s'en plastronnaient allègrement les cuisses et les mains. Les parents regardaient ailleurs. Ses pensées devinrent encore plus sombres et lourdes a porter. Il songea à ses quatre enfants, puis évacua rapidement cette image de son esprit. Il avait envie d'être égoïste aujourd'hui, de ne penser qu'à lui, alors que dans sa poche tintaient les quelques pièces qu'il avait trouvées.
Il croisa l'avenue Louis Martin, puis aperçut les panneaux "Palais du Grand large" et "Casino", juxtaposés, dans la même direction, comme une provocation ultime à ses désirs les plus enfouis. L'air était frais, l'odeur de la vase du port à marée basse était chassée par les embruns venus du large qui attiraient ses pulsions. Son esprit s'éclaircit. Il se remémora quelques lignes que sa fille de 12 ans avait écrites, en espérant un jour devenir chanteuse d'ambiance.
"Au 4e étage, sans ascenceur, j’me fais les muscles des gambettes,
Quand je monte les sacs à provisions, j’me d’mande où j’ai ma tête,
J’espère surtout qu’j’ai rien oublié, pas question de redescendre,
Est-ce que j’ai bien fermé la voiture à clef ? Envie d’me peeeeeeeeeeeendre !!"
C'était justement, ce qu'il voulait éviter et continua sa marche l'âme perturbée, mais combattante. En s'approchant des deux panneaux, il médita un instant, puis pensa que l'un ou l'autre amènerait de toute façon à la même destination : la perdition. Sa bourgeoise, qui l'irritait particulièrement en ces moments difficiles, tenait sévèrement les cordons de la bourse. Elle assénait régulièrement "trop de désir nuit", et notait méticuleusement, jour après jour, chaque centime gagné et dépensé. Pas de superflu. Il chassa à nouveau d'un mouvement de refus l'ambiance morne, boueuse et triste que lui imposât la vision de cette femme. Il traversa le quai Duguay-Trouin, l'ancien corsaire statufié, qui, de sa main droite, discrètement, indiquait à l'homme de poursuivre son chemin. Il fut ragaillardi par cette suggestion et en apercevant le casino à quelques pas, décida de s'y rendre.
Il avait envie ce jour-là de se sentir l'âme conquérante face aux éléments qui le bravaient, tel Surcouf, et serra dans son poing les quelques pièces devenues chaudes quand il poussa la porte de la salle des machines à sous.

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